Les fêtes, anniversaires et autres célébrations révèlent souvent la nature de notre regard sur la vie. La vie est à la fois légère et tragique, joyeuse et douloureuse, réjouissante et agaçante. Il en est de même pour les fêtes, comme celles de Noël ou du Nouvel An.
Sur quoi portons-nous notre attention lorsqu’elles surviennent ? Sur leurs dérives commerciales, leurs aspects obligatoires et superficiels ? Ou sur leurs bons côtés malgré tout, sur le fait qu’elles permettent de retrouver des proches, de célébrer ensemble le passage du temps, de faire des bilans, des résolutions ?
Année après année, les fêtes sont aussi le révélateur de notre façon de vieillir : en se durcissant ou en s’attendrissant, en devenant de plus en plus blasés ou de plus en plus émerveillés. Elles sont un moyen d’observer de quelle manière nous avons évolué face à elles, depuis notre enfance jusqu’à aujourd’hui. Comme un révélateur de notre intelligence de vie…
Prenons l’exemple des résolutions, que l’on prend souvent en cette période. On se moque volontiers des bonnes résolutions. Mais est-ce mieux de ne pas en prendre et de laisser persister dans nos vies des habitudes indésirables que nous continuerons de subir par passivité et inertie ? Plutôt qu’une marque de naïveté, ne sont-elles pas l’expression d’une quête de fidélité, à soi-même et à ses idéaux ? Une résolution, ce n’est pas seulement une vague intention. C’est un engagement pris envers soi-même pour atteindre un objectif, en ayant bien conscience des difficultés qui nous attendent pour initier ou maintenir le changement désiré. C’est un questionnement auquel on se soumet, pour évaluer ce qui compte pour nous et nos proches : résolutions de faire plus d’exercice ou plus de compliments, d’être plus à l’écoute ou plus généreux…
Certes, intentions et bonnes résolutions ne suffisent pas. De nombreux dictons nous rappellent que « l’enfer est pavé de bonnes intentions ». Et parmi les critiques figure souvent celle de leur inefficacité : les bonnes résolutions seraient faites pour ne pas être tenues. Erreur : ça marche ! Les études à ce propos montrent qu’environ 40% des résolutions continuent d’être tenues après 6 mois, et 20% le sont encore après deux ans.
D’accord, ce n’est pas 100% mais c’est bien mieux que ce que donne l’absence totale de résolutions. Prendre de bonnes résolutions, c’est accepter un face-à-face avec soi-même. Cela nécessite un temps d’arrêt et de réflexion sur la conduite de sa vie. C’est l’occasion d’établir avec soi non un procès mais un dialogue amical. Et, surtout, c’est faire preuve de fraicheur et d’enthousiasme : quels qu’aient pu être le passé et les erreurs commises, tout reste possible si j’en prends la décision !
La nouvelle année est aussi l’occasion de prendre soin de nos capacités à l’enthousiasme, cette disposition d’esprit associant curiosité et confiance envers l’avenir, élan joyeux vers l’action, comme ça, pour voir, sans réclamer ces certitudes (est-ce qu’au moins ça va marcher ?) qu’attendent les anxieux et les grincheux pour agir. Personnellement, j’ai longtemps eu du mal avec l’enthousiasme, spontané ou volontairement activé.
Au mieux, je me sentais apaisé, confiant, serein, mais rarement enthousiaste. Rarement dans cette excitation joyeuse – face à la vie, à chaque nouvelle journée, à chaque année qui s’annonce – que l’on retrouve souvent chez les enfants. Pire, je m’en suis longtemps méfié : il me semblait que l’enthousiasme était preuve de naïveté et source d’aveuglement et de déception. Aujourd’hui, je comprends que ce désir inquiet de ne me réjouir que face à des certitudes n’était pas si raisonnable. Et qu’il est précieux d’apprendre à cultiver l’enthousiasme. D’apprendre aussi à l’admirer chez les autres, au lieu de n’en voir que les limites : certes, l’enthousiasme n’est pas toujours raisonnable, mais qu’est-ce qui est toujours raisonnable ? Sûrement pas les contraires de l’enthousiasme, le négativisme et l’immobilisme.
Enfin, la nouvelle année est une occasion d’interroger son rapport à la fraicheur du regard et à l’ouverture d’esprit. La tradition zen y porte une attention toute particulière, et elle nomme cette attitude Shoshin : l’esprit du débutant. C’est une des bases de son enseignement : régulièrement vider notre esprit des certitudes et des habitudes, aborder chaque activité et chaque instant comme si c’était la première fois. Cela pour nous éloigner à la fois de la lassitude (« c’est toujours la même chose, toujours pareil ») et de la présomption (« je sais d’avance ce que cela signifie et ce qui va se passer »), ces deux poisons de l’âme.
Dans la pratique de la méditation, cet esprit du débutant est également précieux : à chaque séance, ne rien se dire, ne rien prévoir, ne rien attendre. Mais juste s’ouvrir à ce qui est là, dans une présence réceptive, curieuse et confiante. Toutes les occasions sont bonnes pour faire vivre et revivre en nous l’esprit du débutant : chaque matinée, chaque commencement d’activité, chaque début d’année. L’esprit du débutant est précieux face à tout ce qui se répète, à tout ce qui revient. Car il est le rappel en nous de ce regard très enfantin et très sage : la vie n’est pas une tâche répétitive ! Les fêtes ne le sont pas davantage ! En portant sur elles un regard blasé et désabusé, nous insultons la vie même, et nous oublions l’essentiel : la chance d’être arrivés jusque là, la chance de pouvoir vivre ces moments, quelles que soient leurs imperfections.
Alors, de notre mieux, cultivons tout cela, grâce au passage de la nouvelle année : n’ayons pas peur de nous engager pour de nouvelles résolutions. Soyons enthousiastes pour l’année qui vient et tous les projets qui vont l’habiter, et faisons vivre en nous l’esprit du débutant, comme celui qui habite les enfants.
Par Christophe André, psychiatre
© Florence Brochoire