Ils sont médecins, psychologues, psychanalystes… Ils soignent la psyché non seulement à travers les mots mais aussi à travers le mouvement. Rencontre avec ces outsiders qui nous racontent pourquoi et comment ils font bouger le corps pour libérer le mental (et réciproquement).
J’aurais pu commencer cet article par « souvenez-vous, quand vous étiez bébé, et que votre parent vous berçait ». Mais pour la plupart d’entre nous, impossible de se le remémorer. Et pour cause, nous n’avions pas les mots, mais seulement le corps, pour ancrer ces expériences de la petite enfance. Expériences que nous pouvons réactiver, le plus souvent inconsciemment, en dansant sur un rythme régulier, en joggant, voire en berçant notre propre enfant. Il n’y a pas à dire, le mouvement apaise. Le mouvement canalise. Le mouvement assainit. De là à l’utiliser en psychothérapie, il n’y avait qu’un pas. Certains l’ont franchi. Le plus souvent après des années de recherche, de réflexion et de pratiques, pas toujours « réglementées » ou bien vues dans le métier.
Les mouvement : plus efficace que les mots
Les mots pour soigner les maux… dit-on. Mais quid du Yoga, de la danse, du souffle, considérés traditionnellement comme vecteurs de changements ? Pour France Schott Billmann, danse-thérapeute et auteure de « Besoin de danser » (Odile Jacob) : « Les gestes, le rythme et la musique, sont des symboles tellement forts et puissants que l’on peut se passer des mots. » Cette psychanalyste a puisé de manière intuitive dans les rituels thérapeutiques traditionnels, et plus précisément dans une méthode de danse nommée « expression primitive » issue du vaudon haïtien, les ingrédients de ce qu’elle nomme aujourd’hui de la « danse-analyse ». Totalement laïcisée, sa méthode a aujourd’hui toute sa place dans la sphère des psys : « C’est très rationnel et cela n’a rien de perché » se défend-elle. Concrètement comment cela se déroule ? Des séances en groupe, ou l’on reproduit les suggestions du danse-thérapeute : « Sur un rythme cadencé, qui imite le rythme respiratoire, on réveille un imaginaire primitif » raconte la danse-thérapeute. « Et l’on revisite son passé en le rejouant de manière positive, dans un climat symbolique et poétique ». C’est ainsi que le patient-danseur se retrouver à jouer au chasseur-cueilleur, incarner son guerrier intérieur, ou encore sa princesse cachée. Autant d’archétypes qui servent à représenter nos pulsions cachées. Pour la psychanalyste, sa méthode de danse-thérapie qu’elle qualifie de « danse-analyse » repose sur les mêmes principes que la psychanalyse « on exprime par le geste symbolique, les représentations refoulées ». Quant aux effets thérapeutiques, ils seraient « plus rapides » qu’une thérapie où seul l’échange verbal est proposé. : « Certes, il y a des résistances comme en thérapie classique, précise France Schott Billmann, mais dans l’ensemble ça va très vite ». Même son de cloche pour Karine Barbeau, psychologue, qui intègre le yoga à sa pratique de psychothérapie. Selon elle, il est « plus facile » de soigner la psyché en passant par le souffle ou le corps ». Agir directement sur le mental, comme le propose la plupart des psychothérapeutes, serait selon elle « plus difficile ».
Bouger pour assouplir la psyché
Comme France Schott Billmann, d’abord passionnée de danse avant de devenir danse-thérapeute, Karine Barbeau a commencé à pratiquer le yoga pour elle-même, en parallèle de ses études de psycho. À l’écouter, il semblerait que ce soit le yoga qui l’ait le plus accompagné vers son métier de psychologue : « En fac de psycho, je ne m’y retrouvais pas. Impossible de me raccrocher au classifications diagnostiques et visions normées de la psyché », raconte-t-elle. En revanche, elle n’hésite pas à vanter la « puissance » du yoga, en matière de développement personnel. Quelques années de pratique et une formation en yoga-thérapie plus tard, Karine s’est « autorisée » à insuffler la dynamique corporelle à ses psychothérapies et à « donner du sens » à sa pratique. Quand elle ne propose pas des séances de yoga-thérapie, elle suggère des exercices de respiration, voire des postures, aux patients qu’elle suit en thérapie « classique ». Au cas par cas, toujours, en fonction de l’énergie perçue chez le patient. « Ils peuvent refaire les exercices chez eux, cela favorise ainsi leur autonomie », ajoute Karine. Par exemple, chez une personne agitée psychiquement, le yoga Nidra (yoga relaxant) « permet de calmer le flot mental et d’assouplir la frontière entre le conscient et le subconscient », explique la psychologue. Une fois le patient détendu un temps d’échange verbal est proposé : « Dans cette souplesse, on peut travailler la psyché avec plus de fluidité. »
Laisser parler le corps
Si cette « efficacité » du mouvement est vantée à l’unisson par les thérapeutes rencontrés, l’argumentaire sous-jacent diffère d’un interlocuteur à l’autre. Tandis que la yoga-thérapeute utilise le yoga comme d’un moyen de « maîtriser l’énergie psychique » en plus de l’échange verbal, d’autres utilisent le mouvement comme un langage à part entière, C’est le cas de Benoît Lesage, médecin et formateur en danse-thérapie. Pour lui, l’activité de danse est thérapeutique en soi, de par son potentiel communicatif. Selon lui, nul besoin de parler : le corps parle de lui-même, d’un langage bien plus vaste que le verbe. Dans ses groupes, il amène chacun à « apprendre à sentir son corps et à entrer en relation avec celui des autres ». À se regarder, à se toucher, à jouer ensemble. Ce qui contribue à favoriser la capacité à communiquer, notamment infra-verbale, et à socialiser. Particulièrement indiqués pour les jeunes autistes, les groupes de danse-thérapie sont, selon Benoît Lesage et France Schott Billmann, bénéfiques à d’autres troubles psychiatriques, tels que la schizophrénie et les troubles alimentaires. Pour les anorexiques, par exemple, la danse-thérapie permet de relier le corps au mental, et de ré-instiller du plaisir là où il fait défaut. Absent des psychothérapies classiques, si ce n’est lorsqu’il est abordé verbalement, le plaisir est le catalyseur du travail psychothérapeutique corporel. Il permet d’ancrer une expérience psychique dans le corps, sans effort superflu, là où la thérapie verbale – telle que la thérapie cognitive et comportementale – force à moduler ses pensées. À l’interface des deux : la thérapie cognitive basée sur la pleine conscience qui inclut des exercices de méditation et de yoga dans le but de mieux gérer ses émotions et ses conflits intérieurs.
Ça bouge chez les psys
C’est donc à partir de méthodes et de théories très diverses, s’étendant de l’anthropologie aux sciences cognitives, en passant par la psychanalyse, que le mouvement trouve son sens dans le soin psychologique. À l’instar du sport, récemment reconnu comme antidépresseur naturel (quoique non remboursable en psychiatrie), les propriétés thérapeutiques du yoga, de la danse ou encore de la méditation en mouvement sont en passe d’être reconnues. Pour autant, les résistances des psychologues et psychiatres à mettre le corps en mouvement sont encore présentes : « En France, la psychologie, telle qu’elle est enseignée à la faculté, est encore très normée », témoigne Karine Barbeau. Quant au Dr Benoît Lesage, il a été obligé de dissocier sa pratique médicale de sa pratique de danse-thérapie, afin d’être pris au sérieux par le conseil de l’Ordre des Médecins. Il reste cependant positif sur le regard aujourd’hui porté sur ces nouvelles pratiques : « La Haute Autorité de Santé recommande les pratiques non médicamenteuses, telles que la danse-thérapie, dans la prise en charge de l’autisme notamment. » Les études scientifiques, également, valorisent de plus en plus ces pratiques psychocorporelles dans la prise en charge des troubles psychiques. C’est notamment le cas de la méditation de pleine conscience et du yoga dont les bénéfices antidépresseurs ont été reconnus. À ce titre, les instructeurs de protocoles MBSR (Réduction du stress basée sur la méditation de pleine conscience) sont les premiers à assumer l’exercice simultané de les psychothérapie et du mouvement. Mais hors du protocole, les psychiatres et les psychologues sont encore très peu encouragés. Si un pas a été franchi, de nombreux restent en suspens Merci, donc, à nos outsiders d’initier le mouvement.
Nos sources :
- Streeter Chris C et al. Treatment of Major Depressive Disorder with Iyengar Yoga and Coherent Breathing: A Randomized Controlled Dosing Study. The Journal of Alternative and Complementary Medicine.Mar 2017.201-207
- Samuel B. Harvey et al Exercise and the Prevention of Depression: Results of the HUNT Cohort Study, Volume 175, Issue 1, January 01, 2018, pp. 28-36
À lire :
- « Besoin de danser » publié chez Odile Jacob (2000) par France Schott Billmann
Les experts :
- Karine Barbeau : psychologue et yoga-thérapeute à Marseille
- Benoît Lesage : médecin généraliste, docteur en sciences humaines, formateur en danse-thérapie, auteur de l’ouvrage « La danse dans le processus thérapeutique » Éditions Éres
- France Schott Billmann : psychanalyste, docteure en psychologie, danse-thérapeute, enseignante à Paris Descartes.
Par le Dr Ada Picard