Alors qu’un salarié sur trois déclare avoir fait un burn-out, la proposition de passer une bonne journée au bureau paraît presque provocatrice. Le travail est devenu un lieu où s’accumulent tensions et difficultés. Alors, comment trouver un juste équilibre entre investissement et plaisir ? Comment passer de l’épuisement sous-jacent à un regain d’énergie ?
Rencontre avec l’économiste Caroline Webb. Diplômée d’Oxford, elle propose, dans son ouvrage « Passer une bonne journée au bureau, c’est possible » (belfond), une analyse de pointe, à la croisée de l’économie comportementale, des neurosciences et de la psychologie, s’appuyant sur plus de 600 rapports scientifiques.
À part échanger quelques politesses, en quoi une meilleure connaissance du cerveau peut-elle nous aider quand les relations sont tendues au bureau ?
Ce que la psychologie nomme le biais de confirmation nous aide à comprendre ce qui se joue dans la plupart des relations professionnelles. Notre cerveau juge rapidement une personne et préfère ensuite la laisser dans la case qui lui correspond. Or, nos a priori ont une énorme influence sur nos échanges. Si nous arrivons avec l’idée que notre interlocuteur est idiot (ou paresseux, incompétent…), nous porterons une attention disproportionnée à tout ce qui viendra confirmer notre hypothèse de départ. Mais cela ne s’arrête pas là, car à mesure que nous réagissons négativement à ses propos, lui-même passe automatiquement en mode défense, ce qui diminue ses chances de se montrer brillant ou charmant à nos yeux. Et la réciproque est tout aussi vraie ! Pourquoi jugeons-nous si vite – et parfois si sévèrement – les autres ? Parce que notre cerveau trouve cela plus simple ! Les travaux de Daniel Gilbert, professeur de psychologie à Harvard, mettent à jour que ces « raccourcis mentaux » sont renforcés dans les périodes de stress intense.
Alors comment faire ? Il ne suffit pas de se dire que cette personne est adorable alors que vous ne pouvez pas la supporter ! Mais peut-être pouvez-vous regarder ce qui est intéressant dans l’échange. Cela abaisse immédiatement votre niveau de défense. Vous pouvez par exemple noter de quelle manière elle est impliquée dans ce qu’elle dit, quelles qualités vous pourriez lui trouver si vous la voyiez pour la première fois. Vous pouvez lui laisser une chance de se révéler à vos yeux. Nous pouvons améliorer la qualité d’une interaction en développant cette forme de curiosité. Je ne crois pas que tout le monde soit absolument intéressant, mais je pense qu’il dépend de nous de rendre une conversation intéressante. Nous avons beaucoup plus de pouvoir là-dessus que nous ne le pensons.
Autre difficulté au travail : la succession de réunions parfois stériles…
Nous sommes des êtres sociaux, et les réunions devraient être une chance et non un calvaire ! Le problème est que l’on se concentre sur une présentation PowerPoint au lieu de se soucier du meilleur échange possible entre les collaborateurs. On accorde beaucoup d’attention au contenu et très peu à la forme. Nous n’offrons alors à notre cerveau aucune des récompenses qui lui permettraient d’actionner le mode découverte. Par exemple, établir un ordre du jour plus fructueux qui donne une perspective commune, qui laisse de la place à la réflexion, aux temps de respiration, qui donne de l’espace, des occasions de susciter la curiosité.
Mais quand on n’a pas le pouvoir de changer l’ordre du jour ?
Si vous ne pouvez rien changer au déroulement de la réunion, vous pouvez en profiter pour vous intéresser à ce qui se passe : observer les différentes personnes autour de la table, voir combien de fois elles prennent la parole, comment elles se tiennent. Développer de l’attention est une bonne manière, de développer le sens de l’humour. Vous pouvez aussi vous demander ce que vous pourriez faire pour ouvrir la situation. Rien ne vous empêche, par exemple, de prendre la parole pour dire : « Ce que vous venez de dire est intéressant. Pourriez-vous développer ? » Pas besoin d’être le patron pour poser des questions !
Propos recueillis par Marie-Laurence Cattoire
© iStock
La bonne humeur est contagieuse
Le psychologue Ron Friedman a découvert qu’il suffisait d’avoir dans son environnement une personne de bonne humeur pour se sentir plus motivé. Friedman a constaté ce phénomène même chez des sujets occupés à des tâches totalement différentes – cela en moins de cinq minutes et sans qu’un seul mot soit échangé ! Par conséquent, lorsque l’ambiance est tendue au bureau, l’humeur avec laquelle on aborde une conversation est décisive et peut faire redescendre la pression. Lors d’un échange délicat, il est possible d’influencer le ton qui est donné à la conversation. On peut par exemple se remémorer notre intention collaborative, se demander quel sentiment nous aimerions propager autour de nous, ou encore se rappeler un moment dans le passé qui nous a rendu joyeux. Et si l’on peut se préparer avant la rencontre afin d’arriver rempli d’une énergie contagieuse, c’est encore mieux.
Nos sources :
• Votre cerveau au bureau. Le mode d’emploi efficace
David Rock, Paris, InterÉditions, 2013.
• La vérité sur ce qui nous motive
Daniel Pink, Flammarion, 2016.
• Et si le bonheur vous tombait dessus
Daniel T. Gilbert, Robert Laffont, 2007.
• Social. Why Our Brains Are Wired to Connect
Matthew D. Lieberman, New York, éd. Crown, 2013.
• Neuroscience for Leadership
Tara Swart, Kitty Chisholm, Paul Brown, éd. Palgrave Macmillan, 2015.