Plus de dépression, plus de larmes, plus de burn-out… les femmes souffrent plus souvent de manifestations émotionnelles que leurs congénères masculins. Mais sont-elles pour autant plus « fragiles » que les hommes ? Tentative de réponse avec nos experts.
C’est l’histoire de Magali, infographiste et maman de deux enfants en bas âge. Une semaine par mois, elle souffre. De quoi ? De désespoir, de fatigue et d’irritabilité inhabituelle. La dernière fois qu’elle est allée voir son psy, voici le diagnostic qu’il lui a attribué : « Trouble dysphorique menstruel ». Ça va et ça vient. Tous les mois. Et c’est dur à gérer : elle repousse son mari, elle crie sur ses enfants… Et elle s’en veut, évidemment. Quant au boulot, elle prend sur elle pour ne pas flancher. Le Dr Marc Masson, psychiatre spécialiste des troubles de l’humeur, évoque le caractère « extrêmement impressionnant » de ce trouble « très invalidant » pour la vie quotidienne, qui peut aller jusqu’aux « idées suicidaires » et qui impose le plus souvent un traitement. Les causes ? Le cycle hormonal, principalement. La baisse d’estrogènes qui précède les règles s’accompagne d’une baisse de sérotonine et explique en partie la « mauvaise humeur » de cette période prémenstruelle. Lorsqu’il y a une gêne véritable, on parle de syndrome prémenstruel. Lorsqu’il y a une souffrance invalidante, on parle de trouble dysphorique prémenstruel : ce dont souffre Magali, comme 5 % des femmes. Une fatalité de la condition féminine ? Peut-être, mais pas seulement.
Être une femme, ce n’est pas si facile
Les hormones ne sont pas seulement incriminées dans le trouble dysphorique prémenstruel. Elles le sont aussi dans la dépression du post-partum, dont les hommes sont par essence épargnés. Cette fois-ci, c’est l’imprégnation de progestérone qui explique en partie la labilité de l’humeur inhérente à cette période. Quant à la dépression à proprement parler, elle touche 2 fois plus le sexe féminin. La biologie est-elle le seul facteur explicatif à cette inégalité ? « Il y a la condition hormonale, certes, mais il y a aussi les facteurs psycho-sociaux », explique le psychiatre. Il donne l’exemple de la ménopause, bien souvent associée à des désordres de l’humeur. Ce trouble de l’humeur « péri-ménopausique » est peut-être mis sur le compte de la baisse d’estrogènes, mais aussi de la modification de l’image de soi, du deuil de la fertilité, etc. Mais aussi : du regard de l’entourage et de la société au sens large. Implicite au quotidien, ce diktat social conduit les femmes à prendre sur elle, face à des troubles qu’elles envisagent comme une « fatalité ». Le Dr Aurelia Schneider, psychiatre et auteur de l’ouvrage « La charge mentale des femmes » regrette de voir si peu de femmes se plaindre de leurs difficultés prémenstruelles ou péri-ménopausiques : « elles n’en parlent pas, par pudeur ou par gêne, comme s’il s’agissait d’une fatalité ». Et comme elles n’en parlent pas, elles prennent sur elle. Et culpabilisent, le plus souvent. D’être à cran et de ne parvenir à « gérer » leur quotidien, alors même que leur état physique les contraint à se reposer : « Les femmes ne peuvent plus se retrancher lorsqu’elles ont leurs règles. Aujourd’hui, elles sont exposées » observe la psychiatre. Alors elles prennent sur elles, étant « par nature habituées à la douleur et à la contrainte », comme le souligne Aurelia Schneider. « Mais à quel prix ? » se questionne la psychiatre.
Pas plus « tarées » que les hommes
Spécialiste des troubles de l’humeur, le Dr Marc Masson reconnaît que les femmes « vivent beaucoup plus d’événements de vie que les hommes » telles que les règles, la grossesse et la ménopause. À cette contrainte biologique, s’est ajoutée une autre sociale. Parce qu’elles sont censées mener de front plusieurs responsabilités (personnelle, professionnelle, familiale) s’est insinué une pression plus insidieuse : l’égalité d’humeur. Alors même que les femmes sont sujettes à des cycles, leur humeur devrait suivre une évolution linéaire. Histoire de ne pas faillir au rôle qui leur est attribué. Et c’est peut-être ce point qui les fragilise, plus que leur condition biologique. Le stress et l’anxiété « largement prédominante chez les femmes » – selon le Dr Aurelia Schneider – en sont les premiers symptômes. Pour cette psychothérapeute, cela peut se gérer en modifiant certaines habitudes de vie. En allégeant sa charge mentale notamment, par exemple, en priorisant les activités qui ont du sens. Ou en faisant des choix plus bienveillants vis-à-vis de soi : « Par exemple, aller chez le traiteur après le boulot, au lieu de s’ajouter la charge du repas. Ou s’offrir des tulipes si on décide de faire à manger ! » propose la psychiatre. S’agit-il aussi de redonner confiance aux femmes, de les « renarcissiser » afin qu’elles ne se sentent pas obligées de tout bien faire. Parce que les femmes n’ont pas de tares qu’il faudrait compenser de quelque manière que ce soit. Certes, les troubles émotionnels sont plus fréquents chez la femme. À côté des dépressions, les femmes souffrent également plus souvent de burn-out et de cyclothymie, affection qui se traduit par des fluctuations rapides de l’humeur. Cependant, le Dr Marc Masson rappelle que « la cyclothymie n’est pas pathologique en soi ». Et qu’il s’agit d’un « tempérament qui prédispose à la maladie bipolaire, et qui n’est pas traitée médicalement ».
Libérées mais pas si fragiles
La labilité émotionnelle que certaines femmes peuvent ressentir ne serait donc pas une maladie à proprement parler. Selon l’auteure de « La charge mentale des femmes », « une forte émotionnalité peut être une ressource ». Ressentir et exprimer ses émotions permet de digérer et gérer les événements de vie de manière plus fluide. Demander de l’aide, également, comme aller voir un psy, est une force plus qu’un aveu de faiblesse. Aussi, si les femmes font état de difficultés émotionnelles et demandent plus souvent à l’aide que leurs pairs masculins, elles n’en sont pas plus fragiles que les hommes. « Les hommes ont d’autres fragilités », souligne Marc Masson. Ils sont moins enclins à exprimer leurs émotions, et ont, de fait « plus d’impulsivité et plus d’addictions ». Les apparences sont trompeuses donc. Et là où notre prisme social nous fait percevoir de la fragilité, une force sans nom se dégage. Avec, au fond, une vulnérabilité universelle, laquelle il s’agit d’accepter en s’aidant soi-même, sans s’imposer monts et merveilles. « Ne mettez pas votre fierté sur tout en même temps ! » conseille le Dr Aurelia Schneider… Arrêtez de viser le top à tout instant, simplement être là et se reposer par moments, en s’entre-aidant. Si les hommes et les femmes sont différents, n’est-ce pas une chance de s’entre-aider, alternativement ?
À lire :
- « La charge mentale des femmes (et celle des hommes) », Dr Aurelia Schneider – Éditions Larousse (2018)
- « Les troubles de l’humeur », Dr Marc Masson – Que sais-je ? (2018)
Nos experts :
Marc Masson, psychiatre spécialiste des troubles de l’humeur.
Aurelia Schneider, psychiatre, attachée à l’AP-HP, thérapeute cognitivo-comportementaliste.
Par le Dr Ada Picard